Une Gaijin au Japon dans les années 90

Il y a 35 ans alors que je rejoignais mon frère en Asie pour des vacances, Cupidon a décidé de lancer sa flèche au Japon et de m’y toucher en plein cœur. 6 mois après, je m’y installais.

Voici l’histoire d’une Gaijin, une étrangère, qui au début des années 90 se retrouve au Japon. Entre anecdotes drôles et mésaventures gênantes, embarquez avec moi dans ce Japon méconnu.

22 Août 1988 ça y’est mon master de psychologie en poche, je suis enfin prête à décoller pour le Japon : ce pays que j’ai découvert il y a à peine 6 mois et que j’ai hâte de retrouver !

Encore étudiante, j’avais bien entendu acheté le billet le moins cher (je ne travaille pas encore dans le tourisme et je ne sais pas encore qu’il y a des compagnies aériennes qu’il vaut mieux éviter !) Au bout de 72 heures (oui vous avez bien lu !) j’arrive enfin à Tokyo Narita. Il fait chaud (35 degrés) et le taux d’humidité atteint des records de 98% ! Même dans mon sud natal il n’y a pas de telles températures… La 1re fois que je suis venue en mai, c’était le printemps je ne savais pas que le Japon avait 4 saisons bien marquées et que les étés sont chauds, même très chauds !

J’habite dans un petit appartement (un euphémisme !!) dans la proche banlieue de Tokyo. Il n’y a pas d’étrangers. Mes voisins, l’environnement local, sont typiquement japonais je trouve ça super, génial, fantastique… Mais, après m’être lavé les dents avec de la mousse à raser, avoir fait une ratatouille la plus chère de la terre (les légumes sont vendus à la pièce et non au kilo !) et m’être perdue un nombre incalculable de fois, je réalise que le manque de communication et de connaissance d’un pays et d’une langue peuvent amener à des quiproquos quelques fois gênants mais le plus souvent très cocasses. Les Japonais étant d’une extrême gentillesse et d’une politesse inégalée !

En ce mois d’août, la plupart des japonais sont en vacances, c’est Obon, une sorte de « Toussaint » japonaise où les familles rentrent dans leur région pour célébrer leurs ancêtres.

C’est un moment de retrouvailles et de joie ponctué par les Matsuri, ces festivals traditionnels très populaires auprès des familles qui aiment s’y rendre vêtues de Yukata, une sorte de kimono d’été.

Malgré la chaleur, je commence à découvrir un pays, des traditions et surtout une gastronomie ! Mais ce sera le fait d’un autre article !

Septembre est là, la saison des typhons aussi. Nous sommes en voiture, il est 15 heures et soudain par Toutatis le ciel va me tomber sur la tête !!! Il fait nuit noire, des trombes d’eau s’abattent sur Tokyo et surtout sur notre voiture ! J’ai l’impression que je vais mourir noyée dans cette Mazda ! J’apprendrai par la suite à ne plus m’inquiéter des typhons, des tremblements de terre, de la saison des pluies et autres catastrophes naturelles japonaises !

Pour l’instant le plus important pour moi est de commencer à me familiariser avec la langue, ce qui me paraît une montagne infranchissable. Mais le Fuji San n’est pas très loin, je le vois de la fenêtre de ma salle de bains, et il semble me dire que rien n’est impossible selon ce dicton bien français !

Je m’inscris donc dans une école de langues pour étrangers à Shinjuku, l’un des 23 arrondissements de Tokyo. Le jour de la rentrée, j’ai l’impression d’avoir 12 ans et d’entrer en 6 ième ! Je suis la seule Française dans une classe où la majorité des étudiants sont des Européens, des Américains du sud et du nord, des Australiens, des Asiatiques, mais pas de Chinois. En effet, les cours dans ces écoles sont le plus souvent suivis par des étudiants chinois qui, disons-le, partent avec un avantage certain dans la lecture et l’écriture ! Mais la direction a décidé de leur créer une classe spécifique afin de ne pas freiner leur apprentissage des Kanjis, cet alphabet qu’eux-mêmes possèdent, et de ne pas frustrer ceux qui les découvrent pour la première fois.

Au bout de 3 mois, j’estime (à tort, mais je le comprendrai plus tard) que je n’ai plus besoin d’apprendre dans une école car, d’une part je n’arriverai jamais à lire ni écrire le japonais et d’autre part, je peux parler et m’entraîner à la maison si je le souhaite.

Mon visa touristique arrive à expiration, j’ai besoin cette fois-ci d’un visa de travail (les working holidays visas n’existent pas encore, nous sommes toujours au XXe siècle !) Une amie australienne qui étudie dans la même école que moi, me propose de rencontrer le directeur du centre de langue où elle enseigne l’anglais, il recherche des français pour son département. Le lendemain, je me présente et l’affaire est conclue en moins de 5 minutes (je ne retrouverai plus jamais ça lors de mes entretiens d’embauche en France !)

On est à l’automne 1988, je partage un appartement à Tokyo avec mon amoureux, j’ai un travail très bien rémunéré avec des horaires qui me conviennent parfaitement, je suis comblée et j’adore déjà ce pays plein de contradictions, que j’ai décidé d’adopter pour le meilleur comme pour « le pire » ….

L’automne au Japon est synonyme de Momiji, ces feuilles d’érable qui se teintent de rouge et qui sont représentatives de cette saison. Nous décidons donc de partir explorer cette campagne qui prend des teintes flamboyantes et surtout je vais enfin pouvoir tester un Ryokan, ces auberges japonaises typiques, où l’on dort sur des Futons posés sur des Tatamis. J’ai déjà dormi dans des conditions rudimentaires j’imagine donc, à ce moment-là, que dormir sur des matelas posés à même la paille ne doit pas être des plus confortables, expérience que j’adorerai par la suite mais je ne le sais pas encore !!

Après 3 heures de route, nous arrivons dans la préfecture de Tochigi à Nasu, connue dans tout le Japon pour ses sources d’eau chaude, les Onsens. Je découvre enfin l’hébergement qui va nous accueillir cette nuit, et je reste sans voix. En effet le ryokan, que je pensais sommaire, se révèle être en fait une maison en bois, traditionnelle vieille de 700 ans !!!! J’entre et l’émerveillement fait place au ravissement. Nous laissons nos chaussures à l’entrée, dans le Genkan, l’hôtesse nous accueille en kimono chamarré, une tasse de thé vert fumant à la main et, nous souhaite Irrashaimase, bienvenue en japonais.

Je suis éblouie par cette atmosphère feutrée, raffinée. La maîtresse des lieux nous dirige vers notre chambre, avec déférence ouvre la porte coulissante et je découvre une très belle pièce, décorée de façon traditionnelle avec son Tokonoma, cette alcôve surélevée où l’on expose des calligraphies, des estampes. Je découvre également les Yukatas, les kimonos d’été qui vont nous permettent d’aller prendre un bain chaud dans une des sources présentes dans le ryokan. Nous les enfilons sans plus attendre et filons dans le bain chaud.

Le soir venu, après avoir profité du Rotenburo, ce bain extérieur d’où l’on peut admirer la vue sur les montagnes, le dîner est servi dans notre chambre. Le repas est un Kaiseki, cuisine composée de plusieurs services et qui accorde une grande importance aux ingrédients de saison ainsi qu’à la présentation.

Nous décidons après le dîner de retourner nous baigner, mais le bain extérieur est mixte et déjà occupé essentiellement par des hommes, nous décidons de nous séparer et je vais chez les femmes. Je vais être pour la première fois seule dans un bain public. Nous avons précédemment testé le bain extérieur, donc je sais comment il faut faire. Consciencieusement je mets ma serviette sur la tête, j’entre dans l’eau, nue, le plus discrètement possible. Mais je ne connais pas encore la curiosité des Oba chan, ces grands-mères japonaises, qui je dois le dire me font penser à celles que j’ai connues en Corse, et qui peuvent transgresser les règles d’une société rigide. Mon essai de discrétion est totalement raté ! A peine me suis-je immergée dans l’eau délicieusement chaude, qu’une bonne dizaine de paire d’yeux me scrutent. Je souris bêtement, et je réalise que malgré les 3 mois d’apprentissage du japonais, aucun mot ne sort de ma bouche si ce n’est ce sourire béat ! J’arrive tout de même à comprendre que cette gentille dame me demande simplement si je vois tout en vert (j’ai cette couleur d’yeux) car je suis sa première Gaijin, sa première étrangère. De là commence une conversation totalement hors sol où je lui parle en français, elle me répond en japonais et pendant de longues minutes nous échangeons, nous rions, sans parler la même langue mais en nous comprenant d’un regard, d’un toucher.

De retour dans la chambre, l’hôtesse avait sorti nos futons du Oshiire, ce placard en papier traditionnel Fusuma où on les range. Il ne nous reste plus qu’à nous installer pour la nuit, et petit à petit les effluves de paille des tatamis me font sombrer dans un sommeil réparateur.

Je n’oublierai jamais ces érables rougissants, ce moment avec cette obachan, ce premier séjour dans un ryokan.

Dans mon prochain article, je vous parlerai de mon premier réveillon du Jour de l’An à Tokyo en 1989 !

En attendant, n’hésitez pas à venir sur mon site et suivre l’avancement des travaux !

A bientôt, Mata Né !!