Merry Christmas et Happy New Year !
L’hiver a fait place à l’automne, contrairement à la France les températures sont encore clémentes sur le sol nippon, le ciel est bleu azur et de mon bain j’aperçois enfin distinctement le Mont Fuji. Cette vue est un luxe que je ne cesse d’apprécier !
Cela fait déjà quatre mois que je suis arrivée, c’est mon premier Noël hors de l’Hexagone et je comprends très vite que les fêtes cette année ne ressembleront en rien à toutes celles que j’ai vécues précédemment !
Nous sommes au mois de décembre, le Japon s’apprête à clore l’année 1988, une certaine effervescence s’empare du pays. Je vais vivre mon premier Oshogatsu, le nouvel an japonais, mais je ne sais pas encore que décembre sera un très loooong mois de célébrations auxquelles il est difficile d’échapper !
Le Japon est un pays de traditions, bonnes ou mauvaises diront certains (là n’est pas la question), dont quelques-unes peuvent être étonnantes voire déconcertantes …. Je travaille toujours dans une école de langues où beaucoup de nationalités se côtoient, chacun avec son bagage culturel et ses propres coutumes : la St Patrick et Halloween pour les Irlandais, Thanksgiving pour les Américains, la farandole des 13 desserts pour moi (tradition provençale arrangée à la sauce nippone car je me rendrai vite compte que les calissons ne sont pas légion en ces terres orientales !) et pour les Japonais Bonenkai, qui signifie dans sa traduction littérale « réunion pour oublier l’année » mais que l’on pourrait traduire par « boire de l’alcool tous les soirs avec ses amis ou collègues » !!!
Les Japonais aiment se retrouver dans des Izakaya, sorte de bar à tapas. Bonenkai est l’occasion de s’y rendre et de boire à l’année écoulée, de se relaxer dans une ambiance très festive où la hiérarchie n’existe plus et les langues se délient plus librement sous l’emprise de l’alcool. C’est mon premier Bonenkai, je suis réservée, mon éducation judéo-chrétienne ne m’autorise pas (encore) à ces Bacchanales, mes collègues sont beaucoup plus à l’aise, ils vivent depuis plus longtemps que moi au Japon et connaissent donc mieux les rouages de cette société très codifiée. Ils ne sont donc pas étonnés de voir notre patron (japonais) totalement ivre, tituber, interpeler les gens, rire aux remarques très acerbes quelques fois méprisantes de ses employés. Malgré les vapeurs de l’alcool, je peine à me sentir parfaitement à l’aise avec ce patron totalement désinhibé comme le sont mes collègues. Je pense au lendemain, me demande comment il réagira au souvenir de cette soirée.
Contre toute attente, le lendemain personne ne semble se souvenir de la soirée pas même le boss qui a remis son costume de patron japonais distant. Je comprends alors, que tout ce qui se passe dans un Bonenkai reste dans un Bonenkai ! Mes prochains seront plus festifs !!
En ce mois de décembre Tokyo commence à s’illuminer et je décide donc de donner à notre petit appartement un air de fêtes de fin d’année. Sans avertir mon amoureux, je voudrais recréer une atmosphère de Noël provençal pour lui faire la surprise en lui faisant découvrir en retour mes traditions.
J’ai toujours fait la crèche à la maison (je suis née à Marseille), évidemment il y a peu de chances d’en trouver une à Tokyo (je rappelle que nous sommes toujours au XXe siècle) et encore moins les santons, ces petits bonhommes en argile que j’aimais acheter dans mon enfance sur les étals du marché de la Canebière pendant les fêtes. Mon père sera ici mon sauveur, après un appel téléphonique (dont la facture salée s’avérera in fine supérieure à l’addition de la crèche et des santons eux-mêmes !), il m’enverra le tout par la poste le lendemain.
Je pars en quête d’un sapin, de guirlandes, de boules scintillantes, symboles suprêmes de Noël, mais je comprends très vite que les Japonais ne fêtent absolument pas Noël comme en Occident. Je ne trouve aucun résineux et encore moins de guirlandes ou autres ornements. En dernier recours, je me rends dans un grand magasin, un subtil mélange de rayons entre Action et BHV (Tokyu Hands pour les afficionados) et là… enfin, je trouve un sapin… en plastique…. Je suis évidemment déçue à l’idée d’associer un sapin en plastique à ma crèche !!!! Je décide toutefois de l’acheter et je rentre, frustrée, mais heureuse de pouvoir agrémenter mon dîner de réveillon d’un peu de Provence au Japon.
Quand je rentre à la maison toujours dépitée de mon achat, mon amoureux m’explique que les fêtes de fin d’année au Japon sont exactement à l’opposé de celles en Occident. A Noël, on sort en famille, en couple ou entre amis pour faire la fête, alors qu’à la Saint Sylvestre on mange un plat de Soba ou de Udon (ces nouilles sont un symbole de longévité), ensuite on va prier au sanctuaire. Devant ma tête probablement éberluée il m’explique qu’au Japon, on naît Shintoïste mais l’on meurt Bouddhiste. Et oui ce pays, bien que peu pratiquant, possède deux religions ; le Shintoïsme, la religion traditionnelle celle de l’Empereur, et le Bouddhisme arrivé de Chine au Ve siècle. Le Japon a toujours été un pays très ouvert aux autres cultures, qu’il intègre facilement aux siennes mais en les adaptant à ses propres traditions, et donc Noël n’a pas échappé à la règle, on le fête de façon païenne !!!
Mais je ne suis pas au bout de mes surprises, j’apprends aussi que les Japonais pratiquent le ménage de printemps mais… en hiver, le Osoji, traduit par « Grand Ménage » est une sorte de rituel purificateur qui consiste à nettoyer de fond en comble la maison, l’école ou encore les bureaux de son entreprise, afin de rentrer dans la nouvelle année propre et lavé de tout ce qui était néfaste pendant le cycle écoulé.
Je vais encore de surprise en surprise car j’apprends également que pendant les trois jours de Oshogatsu, tous les magasins, restaurants seront fermés et que traditionnellement on prépare les repas à l’avance pour les conserver dans une magnifique boîte à Bento en laque.
Finalement, Je suis assez excitée à l’idée de passer les fêtes de fin d’année de façon très différente (ma mère par contre ne se remettra jamais de sa sortie en boîte de nuit le 24 décembre de l’année suivante quand elle viendra me voir !)
Entre deux Bonnenkai (mon foie ne tiendra jamais jusqu’à la fin de l’année !), mon amoureux décide me faire découvrir en hiver les Onsens, les sources d’eau chaude d’origine volcanique. Nous dormirons de nouveau dans un Ryokan, cet hébergement traditionnel où l’on dort à même le sol sur des futons. Cette fois-ci il n’y aura pas de bains à l’intérieur mais uniquement des Rotenburo, des bains à l’extérieur, dans la neige. De prime abord, l’idée m’emballe peu… je ne suis pas vraiment d’origine suédoise et me déshabiller dans la neige pour me glisser dans une eau qui oscille entre 40 et 44 degrés ne m’enthousiasme pas plus que ne m’enthousiasmait les salsifis à la cantine !
On décide de partir dans la région de Nagano, région qui deviendra célèbre plus tard grâce aux Jeux Olympiques d’hiver en 1998. J’étais déjà allée dans un Ryokan en automne, j’avais trouvé l’expérience magnifique et je m’étais émerveillée devant les érables rougissants mais je dois dire que l’hiver dans les Alpes Japonaises est magique.
Quand nous arrivons, contrairement à la première fois, je ne suis pas charmée par le bâtiment et l’hôtesse, mais par les environs où tout est blanc, immaculé, irréel. Au pied de l’auberge, le Rotenburo fume et contre toute attente, je n’ai qu’une envie : m’y précipiter !
Après une délicieuse expérience en Ryokan sur Futons et Tatamis, nous retournons à Tokyo pour attaquer le Osoji et commencer à préparer les fêtes de fin d’année.
Nous sommes le 31 décembre et contrairement aux autres années je ne me prépare pas pour aller « faire la fête » mais plutôt pour aller dans plus beau sanctuaire de Tokyo : Meiji Jingu. Il faut y être avant minuit pour entendre retentir les 108 coups de cloche. Cette ambiance me rappelle la messe de minuit en Provence, les pastorales et je me sens un brin nostalgique (la France me manque…).
Mais quand nous arrivons, la nostalgie fait place à la stupéfaction, j’ai l’impression que Tout Tokyo s’est rejoint ici, il y a des milliers de personnes. En Europe seulement le Pape provoque une telle ferveur !! Après de longues minutes d’attente (mon tempérament méditerranéen aura besoin de quelques années d’acclimatation pour atteindre le calme et la zénitude !!), nous accédons enfin à l’autel où nous sonnons la cloche, nous jetons une pièce et nous achetons un Omamori, sorte d’amulette porte bonheur que nous accrochons avec les autres.
Et comme les Japonais sont très superstitieux nous en profitons pour acheter également un Omikuji, papier qui prédit la bonne fortune. Si la prédiction est mauvaise il est coutume de l’attacher à un arbre près du sanctuaire, et si elle bonne on pourra la glisser dans son sac pour l’avoir avec soi. Le mien est plutôt de bon augure, je ne l’accrocherai donc pas à l’arbre mais je le garderai précieusement dans mon porte-monnaie, avec l’espoir qu’il m’amène son lot de belles surprises pour cette nouvelle année !
Après avoir partagé ce moment sacré avec des milliers de Japonais, nous rentrons et nous buvons le premier saké de l’année (oui je sais, il est beaucoup question d’alcool dans cet article, j’aime les traditions !), mais ce premier saké est censé apporter une bonne santé (sic) car fait à base de plantes médicinales.
Nous sommes le 1er janvier, Tokyo est plus calme que d’habitude l’effervescence a laissé place à une certaine quiétude. Les Japonais restent soit chez eux, soit rentrent dans leur ville natale, mais tous partagent en famille le Osechi Ryori, le repas traditionnel qu’ils ont élaboré à l’avance pour éviter de cuisiner pendant les fêtes.
Je profite de ces trois jours de calme absolu pour explorer Tokyo, cette ville qui va devenir mon chez moi pour les dix prochaines années, mais ça je ne le sais pas encore !!
En reprenant le travail, je découvre une autre tradition de ce début d’année, le Shinnenkai, qui pourrait se traduire par « célébrons la nouvelle année » mais qui consiste en fait durant tout le mois de janvier à se réunir entre collègues et amis dans des Izakayas….
Ça vous rappelle quelque chose ? Et oui le Bonenkai en décembre se décline en Shinnenkai en janvier, même si un peu moins populaire ! On en revient à cette fameuse culture nippone où boire de l’alcool permet aux Japonais de parler avec moins de retenue et à cœur ouvert.
L’année 1988, pleine de rebondissements, s’est refermée pour laisser place à 1989 (vais-je faire ma révolution ?!). Je suis au Japon depuis pratiquement six mois. Même si certaines choses me déstabilisent, je me sens bien dans ce pays qui m’a accueillie avec gentillesse et surtout m’a appris une chose : le Shoganai, ou l’impossibilité de contrôler tout ce qui se passe, autrement dit le lâcher prise !
En attendant mon prochain article, n’hésitez pas à venir sur mon site et suivre l’avancement des travaux !
A bientôt, Mata Né !!